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jeudi 29 octobre 2009

Soupe en "tête à tête"

mise en boite...


"Soupe poireaux pommes de terre"

MARGUERITE DURAS

"On croit savoir la faire, elle paraît si simple, et trop souvent on la néglige. Il faut qu’elle cuise entre quinze et vingt minutes et non pas deux heures — toutes les femmes françaises font trop cuire les légumes et les soupes. Et puis il vaut mieux mettre les poireaux lorsque les pommes de terre bouillent : la soupe restera verte et beaucoup plus parfumée. Et puis aussi il faut bien doser les poireaux : deux poireaux moyens suffisent pour un kilo de pommes de terre. Dans les restaurants cette soupe n’est jamais bonne : elle est toujours trop cuite (recuite), trop « longue », elle est trriste, morne, et elle rejoint le fonds commun des « soupes de légumes » — il en faut — des restaurants provinciaux français. Non, on doit vouloir la faire et la faire avec soin, éviter de l’« oublier sur le feu » et qu’elle perde aussi son identité. On la sert soit sans rien, soit avec du beurre frais ou de la crème fraîche. On peut aussi y ajouter des croûtons au moment de servir : on l’appellera alors d’un autre nom, on inventera lequel : de cette façon les enfants la mangeront plus volontiers que si on l’affuble du nom de soupe aux poireaux pommes de terre. Il faut du temps, des années pour retrouver la saveur de cette soupe, imposée aux enfants sous divers prétextes (la soupe fait grandir, rend gentil, etc.). Rien dans la cuisine française ne rejoint la simplicité, la nécessité de la soupe aux poireaux. Elle a dû être inventée dans une contrée occidentale un soir d’hiver, par une femme encore jeune de la bourgeoisie locale qui, ce soir-là, tenait les sauces grasses en horreur — et plus encore sans doute — mais le savait-elle ? Le corps avale cette soupe avec bonheur. Aucune ambiguïté ; ce n’est pas de la garbure au lard, la soupe pour nourrir ou réchauffer, non, c’est la soupe maigre pour rafraîchir. Le corps l’avale à grandes lampées, s’en nettoie, s’en dépure, verdure première, les muscles s’en abreuvent. Dans les maisons l’odeur se répand très vite, très fort, vulgaire comme le manger pauvre, le travail des femmes, le coucher des bêtes, le vomi des nouveaunés. On peut ne vouloir rien faire et puis, faire ça, oui, cette soupe-là : entre ces deux vouloirs, une marge très étroite, toujours la même : le suicide."

6 commentaires:

  1. Oh le joli montage!
    N'en déplaise à Marguerite et son article pour la revue Sorcières:
    Je fais comme toutes les femmes françaises je fais trop cuire la soupe, et j'y ajoute une branche de céleri!!!

    "Je faisais une soupe pour qu'ils la trouvent prête au cas où ils auraient très faim"
    Duras La Vie Matérielle

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  2. bon appetit....je connais aussi la soupe aux pierres d'allemagne.

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  3. Voici un texte vigoureux.
    Je conseillerais d'ajouter un peu de cerfeuil.
    Anne

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  4. Marguerite est convaincante !

    Bonne journée.
    Linda

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  5. Le summum de ce potage étant la vichyssoise un poireaux pommes de luxe et sans carottes mais tellement bon qui se consomme froid un régal pour l'été !!!

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  6. Je suis de l'avis de Marguerite, on fait trop cuire la soupe...les légumes perdent vitamines et goût.

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