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dimanche 9 août 2009

Mémoires de Berlioz (extrait).


"J'avais fini par échanger quelques paroles au café avec deux officiers de la garnison piémontaise; il m'arriva même un jour de faire avec eux une partie de billard; cela suffit pour inspirer au chef de la police des soupçons graves sur mon compte.

« — Évidemment, ce jeune musicien français n'est pas venu à Nice pour assister aux représentations de Matilde di Sabran (le seul ouvrage qu'on y entendît alors), il ne va jamais au théâtre. Il passe des journées entières dans les rochers de Villefranche... il attend un signal de quelque vaisseau révolutionnaire... il ne dîne pas à table d'hôte... pour éviter les insidieuses conversations des agents secrets. Le voilà qui se lie tout doucement avec les chefs de nos régiments, il va entamer avec eux les négociations dont il est chargé au nom de la jeune Italie; cela est clair, la conspiration est flagrante!"



O grand homme! politique profond, tu es délirant, va!

Je suis mandé au bureau de police et interrogé en formes.


—" Que faites-vous ici, monsieur?

— Je me rétablis d'une maladie cruelle; je compose, je rêve, je remercie Dieu d'avoir fait un si beau soleil, une mer si belle, des montagnes si verdoyantes.
— Vous n'êtes pas peintre ?
— Non, monsieur.
— Cependant, on vous voit partout, un album à la main et dessinant beaucoup; seriez-vous occupé à lever des plans ?
—Oui je lève le plan d'une ouverture du Roi Lear, c'est-à-dire, j'ai levé ce plan, car le dessin et l'instrumentation en sont terminés; je crois même que l'entrée en sera formidable!
— Comment l'entrée? qu'est-ce que ce roi Lear?

— Hélas ! monsieur, c'est un vieux bonhomme de roi d'Angleterre.

— D'Angleterre!

— Oui, qui vécut, au dire de Shakespeare, il y a quelque dix-huit cents ans, et qui eut la faiblesse de partager son royaume à deux filles scélérates qu'il avait, et qui le mirent à la porte quand il n'eut plus rien à leur donner. Vous voyez qu'il y a peu de rois...


— Ne parlons pas du roi!... Vous entendez par ce mot instrumentation?...


— C'est un terme de musique.


— Toujours ce prétexte! Je sais très bien, monsieur, qu'on ne compose pas ainsi de la musique sans piano, seulement avec un album et un crayon, en marchant silencieusement sur les grèves ! Ainsi donc, veuillez me dire où vous comptez aller, on va vous rendre votre passe-port; vous ne pouvez rester à Nice plus longtemps.


— Alors, je retournerai à Rome, en composant encore sans piano, avec votre permission."

Ainsi fut fait. Je quittai Nice le lendemain, fort contre mon gré, il est vrai, mais le cœur léger et plein d'allegria, et bien vivant et bien guéri. Et c'est ainsi qu'une fois encore on a vu des pistolets chargés qui ne sont pas partis."

1 commentaire:

  1. super, je l'imprime et vais le lire au lit, à tête reposée car j'ai pas mal de kilomètres dans les reins... et ainsi Michel le lire aussi !!! je t'en reparles demain matin, merci de cette gentille attention !

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